L’Académie a eu l’immense tristesse de perdre Robert Pierron, membre associé, décédé très brutalement le 1er mai. Un hommage lui a été rendu par le président et le secrétaire perpétuel à l’ouverture de la séance publique du jeudi 5 juin, en présence de son épouse.
Le secrétaire perpétuel a d’abord évoqué la carrière professionnelle de Robert Pierron puis ses nombreuses activités associatives et ses trop courtes contributions à la vie de l’Académie après avoir été élu en qualité de membre associé en 2023. Le président a ensuite rappelé combien Robert Pierron était attaché à la musique, rappelant toutes ses activités et contributions dans le domaine musical, avant de demander aux académiciens et au public de respecter une minute de silence en mémoire de ce confrère si attachant et qui avait fait l’unanimité depuis son élection à l’Académie le 6 avril 2023. Vous trouverez ci-dessous les deux textes lus par le secrétaire perpétuel puis par le président.
Hommage lu par le secrétaire perpétuel
Né à Lourdes en 1950, Robert Pierron après son baccalauréat de mathématiques élémentaires avait d’abord suivi des études scientifiques : classes préparatoires de mathématiques supérieures et mathématiques spéciales au lycée Montaigne, avant d’obtenir une licence de mathématiques et un certificat d’informatique à l’université de Bordeaux 1 en 1971. Puis il avait changé d’orientation en suivant les cours de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux en section économique et financière de 1972 à 1975 et en obtenant un diplôme en aménagement du territoire à l’université de Bordeaux 3.
Entrant dans la vie active, il avait opté pour les domaines de l’emploi et de la formation professionnelle, assurant successivement les fonctions et responsabilités suivantes :
– à partir de 1976, chargé d’études puis adjoint, avant d’être directeur des études au sein du Comité d’Expansion Aquitaine jusqu’en 1989 ; dans ces fonctions, il avait été chargé en octobre 1985 du secrétariat général du premier colloque international d’océanologie côtière, organisé par l’association pour le développement des recherches marines, ayant ainsi l’occasion de collaborer avec notre regretté confrère Michel Vigneaux qui présidait cette manifestation ;
– pendant dix années, de 1990 à 2000, directeur de l’AREPA : l’Association régionale pour l’éducation permanente en Aquitaine ;
– conseiller technique au Conseil régional d’Aquitaine en charge du Contrat de plan régional de développement des formations professionnelles de 2000 à 2015 ;
– délégué régional pour la Nouvelle-Aquitaine et membre du Conseil d’administration de l’Association Française pour le développement de l’enseignement technique ;
– chercheur associé au Centre d’études et de recherches sur les qualifications depuis la fondation de ce Centre à Bordeaux en 1998.
Dans le cadre de ces engagements professionnels très variés dans les domaines de la formation et de l’emploi, Robert Pierron a assuré en outre diverses responsabilités :
– membre de 1998 à 2016 du Comité de rédaction de la revue Formation Emploi éditée par la Documentation française ;
– participation aux travaux du groupe Prospective des métiers et des qualifications au Commissariat général du Plan dans les années 90 et 2000 ;
– participation aux travaux de groupes permanents du Conseil national de l’information statistique, le CNIS ;
– membre d’associations scientifiques internationales dans les domaines de la démographie – l’Association Internationale des Démographes de Langue Française – et de la statistique ;
– de 2008 à 2012 membre au titre des Conseils régionaux des jurys des concours de recrutement des personnels de direction de l’Éducation nationale (proviseurs des lycées et principaux des collèges) ;
– membre du Comité scientifique de l’association Cap Métiers Nouvelle-Aquitaine.
Il avait assuré également pendant dix années, de 1983 à 1993, comme maître de conférences, des cours de méthode d’économie à l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux.
Il a été l’auteur de nombreux rapports d’études, d’articles de revues et de chapitres d’ouvrages collectifs sur l’emploi, la formation et l’orientation, l’économie régionale et l’aménagement du territoire.
Robert Pierron a été ainsi un artisan en matière de formation professionnelle, défendant la reconnaissance et la valorisation des filières techniques et professionnelles. Au total il était fier de ses 40 années d’expertise dans les domaines de la formation et de l’emploi, mais aussi du développement économique régional et de l’aménagement du territoire. Connu et reconnu ensuite, comme nous allons le voir maintenant pour sa passion et ses connaissances dans les domaines de la marine et surtout de la musique, il tenait à rappeler ces compétences acquises dans une vie professionnelle bien remplie.
La participation et le bénévolat au sein du monde associatif étaient aussi un souci constant de notre regretté confrère, avec la volonté de faire ainsi profiter des organismes et la communauté de ses compétences et notamment de sa passion pour la marine et l’histoire.
Il a été ainsi de la petite équipe, pleine de persévérance pour faire venir à Bordeaux en 1993 après son désarmement le croiseur Colbert, dernier croiseur de la marine française, dont les membres avaient à cœur la préservation de notre patrimoine maritime très négligé en France, à l’inverse de la Grande Bretagne par exemple. Même si Bordeaux n’avait jamais été un port de guerre, Bordeaux comptait plusieurs chantiers navals, ayant construit nombre de bâtiments de guerre, notamment dans les années cinquante, dont quelques exemplaires des escorteurs d’escadre, bâtiments très réussis venus remonter en puissance notre marine après les désastres de la Seconde guerre mondiale, en particulier le Jauréguiberry rendu célèbre par le film Le crabe tambour tourné à bord. L’idée était donc de faire venir à Bordeaux un grand navire utilisé en musée. Robert Pierron a été ainsi un des piliers et des défenseurs du Colbert amarré le long du quai des Chartrons. Son fils Jean-Christophe me rappelait qu’il avait passé maints samedis à bord du Colbert déambulant dans les coursives pendant que son père guidait les visiteurs, expliquait l’histoire et la vie à bord de ce navire presque mythique. Mais la gestion en était complexe, très coûteuse en temps et en argent et il a fallu mettre en 2007 un terme à cette seconde vie du Colbert, emmené au cimetière des bateaux à Brest en attendant sa déconstruction, non sans regrets pour Robert Pierron et tous ceux qui avaient participé à cette épopée.
De même dans les années 2000, un petit groupe d’amis était convaincu que l’histoire maritime de Bordeaux et de son port méritait d’être mieux mise en valeur, d’être mieux connue des bordelais et des touristes Ainsi est né l’idée d’un musée de l’histoire maritime de Bordeaux soutenue par l’Association Collectif Bordeaux Marinopole. Robert Pierron en était le vice-président et la cheville ouvrière en qualité de gérant du petit musée inauguré en 2016. Après des années rue Borie, ce musée venait de se voir offrir par le port un emplacement plus important et mieux adapté à un musée près des bassins à flot. Début mai, il ne restait qu’à obtenir l’accord des services de sécurité pour ouvrir, accord qui est arrivé le lendemain du décès de Robert Pierron.
Autre association à laquelle Robert Pierron donnait de son temps depuis quelques années : la Mémoire de Bordeaux Métropole. Il en présidait la commission maritime et se montrait là aussi très actif, précieux par ses connaissances et ses archives. Je citerai par exemple un long article dans le journal Sud Ouest à l’occasion des 80 ans de l’armistice de juin 1940 sur l’histoire du Massilia, ce navire qui a quitté Bordeaux peu avant l’arrivée des Allemands, emmenant des parlementaires et des troupes vers le Maroc, non sans polémiques ultérieures.
Robert Pierron s’intéressait aussi aux sciences et techniques, fort de ses premières études. Ainsi il a présidé pendant quelques années les Amis de Cap sciences et notre confrère Bernard Alaux qui a fondé et dirigé Cap sciences me disait combien cette association était précieuse pour faire connaitre Cap sciences… Enfin Robert Pierron a présidé longtemps Bordeaux – Los Angeles association créée lors du jumelage entre les deux villes et devenue depuis Bordeaux – USA.
Robert Pierron qui venait régulièrement assister à des séances de l’Académie en a été élu membre associé le 6 avril 2023. Après son élection, il a été certainement un des membres les plus assidus aux séances et aux activités de notre compagnie. Rapidement il a contribué à la vie de l’Académie et à son rayonnement. Ainsi pour les prix de l’Académie, il avait soutenu avec enthousiasme l’attribution de notre Grand prix 2024 au musicien Raphaël Pichon directeur de l’Ensemble Pygmalion, bien connu des Bordelais et il se réjouissait d’assister à la remise par le maire de ce prix décerné pour la première fois à un musicien, cérémonie qui s’est déroulée hier dans les salons de l’Hôtel de ville. Pour ces prix 2024, il avait proposé le prix du patrimoine à Christian et Line Bernadat pour leur ouvrage Quand Lormont construisait des navires… Histoire de la construction navale sur les rives de Lormont, sujet qu’il connaissait particulièrement bien et il s’était fait un plaisir de leur remettre leur prix lors de la séance du 3 avril dans nos salons.


Hommage lu par le président
Robert Pierron aimait à dire qu’il ne se souvenait pas d’une époque où la musique aurait pu être en dehors de sa vie et cela dès ses premières années.
Il bénéficia ainsi, alors qu’il était au lycée, de l’excellence des cours de piano d’une ancienne condisciple du chef d’orchestre Louis Auriacombe au conservatoire de Toulouse. Dès la classe de seconde, il fit ses premières armes de conférencier lors de soirées d’écoute de disques qu’il animait au profit de ses condisciples et contribua à la préparation de sorties collectives d’élèves et de professeurs pour assister à des concerts à Tarbes. Par une étrange coïncidence, le premier concert symphonique réel auquel il assista ainsi dans ses années de lycée, était dirigé par Alain Lombard dont il allait devenir proche un quart de siècle plus tard.
Après le baccalauréat, il continua, tout au long de ses études universitaires, non seulement de nouer et d’entretenir des contacts suivis avec des musiciens divers, mais encore de poursuivre au fil des ans un parcours personnel singulier, caractérisé par un travail aussi rigoureux que celui qui aurait pu découler d’études musicales formelles.
A son entrée dans la vie professionnelle et sans jamais avoir été attiré par une carrière dans l’administration culturelle, ses acquis techniques et relationnels allaient déterminer, dès ses vingt-cinq ans, la perspective d’une sorte de double existence à laquelle seule sa disparition a mis fin. Ses compétences ayant été mises en œuvre rapidement à travers des rédactions de textes de programmes de salles et de présentations de concerts, il n’a cessé de les élargir depuis le milieu des années 1970 au travers des contacts personnels approfondis avec de nombreux musiciens, travaillant dans des registres extrêmement divers, allant par exemple du claveciniste Ruggero Gerlin, au compositeur Henri Dutilleux, dont il a fortement contribué à faire donner le nom à la grande salle du nouvel Auditorium de Bordeaux, au moment où l’ONBA, alors dirigé par Hans Graf, enregistrait l’intégrale de son œuvre pour orchestre.
C’est ainsi que pendant plus de quarante-cinq ans, Robert Pierron a développé une activité d’auteur et de conférencier dans le domaine musical, en même temps qu’il exerçait ses diverses fonctions relevant principalement des domaines d’études et d’expertises socio-économiques.
A partir de l’automne 1975, il est ainsi chargé, sur proposition de Jean-Louis Laugier, Maître de conférences en lettres classiques à l’Université Bordeaux III et directeur de l’Orchestre universitaire de Bordeaux de rédiger les textes des programmes de salle des soirées du Groupe de Recherche et d’Animation Musicale (GRAM), fondé en 1973 par Paul Kalinine, Maître de conférences en littérature comparée. Cette Association assurait alors, principalement dans l’amphithéâtre 700 de l’université, des concerts d’une exceptionnelle qualité, dans une atmosphère qui a fortement marqué ceux qui suivirent cette aventure jusqu’au décès brutal de Paul Kalinine. Il aura ainsi été l’un des principaux animateurs de cette belle expérience, reconnue comme telle par la presse nationale, durant 14 de ses 16 saisons (de 1973 – 1974 à 1988 – 1989), qui a permis d’entendre pour la première fois à Bordeaux et en France un grand nombre d’artistes de tout premier plan, alors au début de leur carrière, comme Brigitte Engerer et Gidon Kremer, ou bien déjà confirmés comme Gustav Leonhardt ou Tatiana Nikolayeva…
En 1982, Henri Marquier, alors administrateur de l’Orchestre Bordeaux Aquitaine, lui confie la rédaction de textes de programmes de salle, dans une totale liberté de ton ainsi que la mission d’assurer des présentations d’œuvres lors de conférences organisées par l’Association des Amis de l’Orchestre.
En 1988, Alain Lombard, lui confie la totalité des notices d’œuvres des programmes symphoniques de l’ONBA, tâche qu’il a poursuivie lors des mandats des directeurs successifs de cette institution, de façon non exclusive et plus sélective, plus spécialement centrée sur le répertoire contemporain et les créations, choix auxquels se sont ajoutés de nombreux autres textes ou conférences concernant l’opéra, le ballet et des récitals de solistes ou d’ensembles de chambre.
Parallèlement, Robert Pierron a progressivement orienté son activité dans le sens de propositions plus spécifiques, allant jusqu’à la recherche et l’expression de rapprochements entre des textes et des musiques, selon des angles ouverts et divers, afin de prendre une certaine distance vis-à-vis des genres contraints du commentaire strict destiné aux programmes habituels de salle et de l’analyse musicologique traditionnelle.
Au total, ses prestations ont évolué progressivement vers la réalisation de projets de plus en plus marqués par la recherche d’une expression créatrice personnelle conduisant à la mise en œuvre de ce qu’il appelait des « concerts-actions » qui placent la musique au centre d’un déroulement dramatique et poétique, fondé par exemple sur sa mise en parallèle avec l’histoire. L’exemple le plus significatif de cette nouvelle orientation a été constitué par les deux représentations de Musiques au temps des guerres mondiales (1914-1945), pour récitant, chanteurs, piano et un groupe de musiciens solistes de l’ONBA, données à l’Auditorium de Bordeaux à l’occasion du centenaire du 11 novembre 1918.
Au GRAM, comme à l’ONBA et plus largement à l’Opéra National de Bordeaux, ou encore lors de prestations ponctuelles réalisées à divers moments dans des cadres multiples (le Festival d’Avignon, le Théâtre du Rond-Point des Champs Elysées à Paris…), Robert Pierron a été ainsi l’auteur de centaines de textes et comme conférencier invité à des interventions diverses, dont le volume et l’ambition dépassaient le cadre seulement informatif de leur commande et constituaient une véritable composante du concert ou du spectacle.
L’Académie nationale de Bordeaux a perdu avec Robert Pierron un homme hors du commun par sa capacité d’embrasser et de maîtriser de multiples domaines d’activités, un infatigable travailleur possédant une immense culture tellement débordante que le flux de sa parole était inarrêtable tant il aimait partager son savoir et son expérience. Nous n’entendrons plus sa voix douce et ne verrons plus son regard bleu mais conserverons le souvenir de sa modestie naturelle, de la distinction de son humour et de son exquise civilité.
Je présente les condoléances les plus attristées de l’Académie à madame Monique Pierron et à sa famille et vous invite à vous lever et à observer une minute de silence en hommage à la mémoire de notre confrère et ami prématurément disparu.
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